RTK360, le kit de collecte de Carto’Cité
28 août 2023
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CentipedeRTK ou la naissance d’un géocommun

La géolocalisation centimétrique libre et économique

Cette histoire est un conte de fées, ou plutôt un conte de geeks libristes et passionnés. Cette histoire est celle de Julien Ancelin, administrateur SIG à l’INRAE et agriculteur, et de notre collaborateur Stéphane Péneau, inventeur autodidacte au 4 millions de photos versées sur Mapillary.

La géolocalisation RTK

Commençons par un rappel sur le positionnement par satellites, et tout d’abord par une rapide clarification sur ce que le langage courant nomme « un GPS ». GPS (Global Positioning System) est la première constellation de satellites déployée par les États-Unis à partir de 1973. Depuis, le Système mondial de navigation par satellites (GNSS en anglais) s’est enrichi d’autres constellations : GLONASS le russe, Galiléo l’européen et Beidou le chinois.

Un récepteur GNSS calcule sa position à partir du temps qu’a mis le signal de plusieurs satellites (4 au minimum) à parvenir jusqu’à lui. Or ce signal est retardé en traversant les différentes couches de l’atmosphère, ce qui fausse les calculs. La position peut donc avoir une erreur de plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres dans des conditions défavorables comme un canyon urbain.

La technologie RTK permet de considérablement améliorer la précision de la position en associant au GNSS une station de référence fixe (ou base GNSS) dont la position précise est connue. Le rover, qui n’est pas fixe, détermine précisément sa position en temps réel. Il effectue pour cela de savants calculs qui utilisent les signaux GNSS qu’il reçoit, les signaux GNSS des mêmes satellites reçus par la station de référence, et la position précise de cette station. Si la station est suffisamment proche du rover (jusqu’à une dizaine de kilomètres), ce dernier peut être positionné avec une précision de l’ordre du centimètre. On estime la perte de précision à environ un cm par 10 km de distance à la station.

Auteur : Julien ANCELIN

La géolocalisation RTK nécessite donc de déployer plusieurs stations de référence, ainsi qu’une infrastructure permettant aux rovers d’identifier la station la plus proche et d’accéder aux données qu’elle émet.

Les lecteurs intéressés par cette technologie pourront consulter l’article Wikipédia Cinématique Temps Réel et la vidéo de l’exposé de notre collaborateur Stéphane Péneau lors de l’édition 2022 de State of the Map France.

La technologie RTK n’est pas nouvelle. Des sociétés comme Orphéon, Teria ou Trimble proposent des abonnements à leurs réseaux de stations, dont les tarifs ne sont pas à la portée d’une exploitation agricole modeste ou d’une structure comme Carto’Cité, tout aussi modeste. C’est là que le réseau CentipedeRTK intervient.

Génèse du réseau CentipedeRTK

Revenons à nos deux passionnés, Julien et Stéphane.

En 2016 la société Skytraq produit la puce NS-HP, qui effectue les calculs RTK sur les signaux GNSS. Stéphane en achète une et mène ses premières expériences.

En 2017 Julien ne renouvelle pas l’abonnement RTK qu’il utilise sur son tracteur, et annonce sur Twitter « Septembre sera libre, ouvert et abordable ». Les agriculteurs sont en effet de grands utilisateurs de la géolocalisation RTK, afin d’optimiser les rendements. Il s’agit à la fois d’éviter de laisser un espace non cultivé entre deux passages du tracteur, et de gaspiller semences et intrants par des passages qui se chevauchent. Les tracteurs peuvent également être équipés d’un dispositif d’auto-guidage. Ce tweet interpelle Stéphane et nos deux protagonistes font connaissance.

En 2019 la société U-blox sort une nouvelle puce RTK, la puce F9P, qui effectue les calculs RTK en utilisant deux fréquences de signaux GNSS. Cela permet d’augmenter la distance entre une base RTK et le rover, et d’accélérer l’obtention d’une première position (ou fix). Stéphane conçoit alors une base RTK, qui intègre la puce F9P et un Raspberry Pi, et développe le logiciel RTKBase qui permet notamment de diffuser les signaux GNSS vers un serveur. Ce logiciel qui utilise la suite RTKLib est placé sous licence libre, ainsi que les plans de la base.

Cette même année Julien déploie un NTRIP Caster, serveur qui centralise les signaux envoyés par les bases RTK pour les diffuser vers les rovers, en temps réel. Ce serveur est hébergé par l’INRAE, qui déploie alors une dizaine de stations de référence.

En 2020, Stéphane décide de passer le temps libéré par le confinement à apprendre le langage Flask. Il développe la version 2 de RTKBase, avec une interface web qui facilite grandement la configuration et l’utilisation des bases. Julien prépare une image flashable qui facilite l’installation de RTKBase sur le Raspberry Pi d’une base. La partie matérielle est améliorée et se voit intégrée à un boîtier étanche. Cette même année l’INRAE commande une dizaine de bases à Stéphane, et Julien publie un site qui documente le projet. Le réseau CentipedeRTK est né. À la fin de l’année 2020, le caster de l’INRAE permet d’obtenir en temps réel les données GNSS d’une soixantaine de bases.

Une expansion fulgurante

Dès lors le réseau se développe rapidement. Stéphane est sollicité pour fournir des bases et se lance dans l’assemblage et la commercialisation de bases, alors que ce n’était pas au départ son intention. Trois ans plus tard le réseau CentipedeRTK compte près de 600 bases dont 90 % utilisent le logiciel RTKBase.

Ce déploiement rapide s’explique par plusieurs facteurs : le faible coût du matériel (quelques centaines d’euros pour une base ou un rover), l’accès gratuit aux bases via le caster Centipede, le partage des plans et du code de la base sous licence libre, la simplicité de configuration et de contrôle d’une base grâce à la version 2 du logiciel RTKBase, et peut-être surtout l'aspect communautaire du projet.

Ce projet libre et communautaire est-il sérieux ? Est-il fiable et offre-t-il la même précision que les offres commerciales ? Selon une étude de la chambre d'Agriculture des Hauts-de-France, la précision, la répétabilité et la stabilité de CentipedeRTK sont équivalentes à celles d'Orphéon, le leader du marché. Enfin, l'évolution rapide du nombre de bases permet de penser que l'ensemble du territoire métropolitain sera couvert avec une densité suffisante d'ici un an ou deux.

Vers un géocommun européen ?

Si la majorité des bases (62 %) ont été installées par des agriculteurs, pour les usages décrits plus haut, de nombreuses bases ont été déployées par une diversité d’acteurs : universités, collectivités, Parc Naturels Régionaux, chambres d'agriculture, l'Office Français de la Biodiversité, le CRAIG, GRDF, entreprises, particuliers, etc. Cette diversité témoigne de la multitude des usages de la géolocalisation centimétrique : suivi du trait de côte, mesure de la hauteur des vagues, relevé d’infrastructures, pilotage de drones, etc. Sans oublier la cartographie : comme nous l’expliquions dans notre article précédent, nous utilisons CentipedeRTK lors de nos missions pour effectuer des relevés topographiques et photographiques.

Les échanges sur CentipedeRTK vont bon train sur le forum des Géocommuns, où ce projet côtoie Panoramax, « l’alternative libre pour photo-cartographier les territoires ». Ces deux projets ne sont pas sans lien : des photographies bien localisées grâce à CentipedeRTK favoriseront des usages comme le positionnement automatique de panneaux…

L’année 2024 verra la création d’une association pour porter le projet Centipede, et l’élaboration de sa gouvernance. Un des premiers projets est d’améliorer l’infrastructure autour du caster afin de créer de la redondance.

Si la majorité des bases se trouvent aujourd’hui en France, le réseau CentipedeRTK intègre des bases situées en Belgique, Suisse, Hongrie, Roumanie, Norvège, etc. En effet, le NTRIP Caster hébergé par l’INRAE peut très bien diffuser les flux de données de bases situées hors des frontières. Le volume de données transmises est suffisamment modeste pour permettre au serveur de diffuser les données provenant de plusieurs milliers de bases. Le déploiement d’une achitecture distribuée est à l’étude mais n’a pas un caractère d’urgence.

Nous assistons peut-être, avec CentipedeRTK, à la genèse d’un géocommun européen, qui vise à mettre la géolocalisation centimétrique à la portée du plus grand nombre.


Publié le 15 janvier 2024. Texte sous licence Creative Commons CC-BY-SA 4.0